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Scribouilleur de cru
25 septembre 2006

Rencontre

Et bien voilà.

L'autre jour, en marchant dans la rue, je me suis foulé une cheville. C'est bête. En voulant descendre du trottoir plus vite que mes pieds, ma cheville a dévissé et paf... Une belle entorse, bien violette, bien douloureuse.
J'en étais là, assis sur le bord du trottoir, à masser délicatement cette cheville malheureuse tout en maudissant mon empressement, lorsqu'une femme énorme vint à ma rencontre.

Je dis énorme parce qu'aucun autre mot ne me vient à l'esprit pour qualifier cette montagne de graisse posée sur deux poteaux larges comme des jambons.

L'étrange apparition devait peser double quintal. C'était une masse tout en volumes, rebonds, contours et formes. Des plis et des replis de peau et de graisse descendaient de haut en bas, pour ne former qu'une entité difforme, une monstruosité gonflée, une baleine écouée dans la ville.
Enfoncés dans sa tête ronde, de petits yeux d'argent tournoyaient dans tous les sens comme des billes folles.

J'étais toujours assis et devinais que la grasse météorite fonçait droit sur moi. Lorsqu'elle arriva à ma hauteur, je ne distinguais plus son visage caché derrière de larges seins, deux montagnes accrochées aux pentes vertigineuses de son buste.
Elle dut se pencher pour pouvoir me parler. Mais alors, au lieu de mots clairs et phrasés, ce n'est qu'un salmigondis incompréhensible qui sortit de sa bouche aux lèvres boudinées. Une bouillie de sons excavée d'une gorge profonde. Un rire rauque aux allures de sirène de paquebot.
Les yeux révulsés, les bras tendus en croix (en fait, posés sur la masse du corps), recouverte d'une péllicule de sueur à l'odeur aigre, tanguant dangereusement sur ces bases fragiles, cette femme aurait donné la frousse à n'importe quel dur à cuire, de n'importe quel bataillon, de n'importe quelle infanterie. Autant dire que j'étais pétrifié.

Je croyais ma dernière heure venue, étouffé sous un tas de chair suant, noyé dans une marre de graisse.
Mais au lieu de tomber sur moi, la gargantuesque dame se mit à vibrer de partout comme une chaudière qui lâche brusquement toute sa vapeur, prête à exploser. Elle tremblait, tressautait sur place dans une cadence folle tout en hurlant des paroles insensées. Sa graisse volumineuse bondissait formant des sinusoïdes flasques qui couraient tout le long de son corps.

Puis elle explosa en un geyser écarlate. Sa carcasse vola en milles éclats incarnats qui allèrent recouvrir les alentours de la scène. Le gras fumait sur l'asphalte et dégageait une odeur nauséabonde de viande grillée. Il y en avait partout. Dans l'air, une nuée rosâtre se dispersait.

Une foule de curieux s'agglutinait autour de moi. J'étais là, statufié, toujours assis par terre, la cheville en feu, l'oeil vitreux, l'esprit vide. Je dus enlever un par un les bouts de chair qui étaient restés collés dans mes cheveux, sur mes épaules. Mon costume était foutu. 

Au loin, une sirène hurlait.

La ville est cruelle.

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