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Scribouilleur de cru
26 septembre 2006

Les villes électriques - Baya 1983

Elle s'appelle Baya. Elle est grande. Elle est belle.
Elle tord du cul quand elle marche dans la rue. D'un regard de braise elle toise tous les mecs qui la sifflent. Parfois, elle dégaine un majeur musclé vers le ciel en guise de réponse à ces provocateurs de pacotille. L'allure altière, la démarche chaloupée, elle sillonne le quartier telle une princesse dominatrice. Elle est sapée des pires fringues qu'on ait pu trouver dans les années 80 : une mini-jupe bleue électrique, une veste cintrée de la même couleur, des épaulettes de footballeur, des bas résilles, des talons aiguilles blancs. Sur ses épaules, Baya a décidé de laisser tomber une longue crinière brune volumineuse qui lui donne l'allure d'une lionne. C'est une lionne. Prête à dévorer. Prête à rugir. Dans son petit sac à main de cuir blanc, assorti aux chaussures, elle cache les souvenirs d'une vie chaotique et de petites choses qui servent à soulager son quotidien. Un bâton de rouge à lèvres usé que lui a offert Roberto, une paire de gants qu'elle ne met jamais, un kit de maquillage avec son miroir fendu, une paquet de Kool mentholées, une boîte d'allumettes de chez Rio, un sac d'herbe pour les soirées aventureuses, le dernière lettre de sa chère mère disparue (une lettre déchirante qui fait pleurer Baya chaque fois qu'elle s'imagine assez forte pour la relire), un porte clefs représentant la tour Eiffel, un rasoir à manche et 300 dollars. En gros, voilà ce que contient le sac de Baya.
Cette femme qui il n’y a pas si longtemps encore était un homme.

Lorsqu'elle franchit la porte du Homeless Welcome, où elle a rendez-vous, Baya ne se doute pas une seconde qu'elle va vivre dans cet endroit sordide les dernières heures de son existence. Le Homeless Welcome n'a rien d'accueillant. C'est même exactement l'inverse.
C'est un rade pourri où se côtoient toutes les épaves de la ville. Des gueules cassées se mélangent aux ivrognes rongés et aux toxicos proches de la fin. Un rade de débris gisants dans l'alcool et la déchéance, un rade définitif, extrême, au bout du bout, qui n'attend que la mort comme ultime invité surprise.
La mort. Baya aurait dû la voir venir, la sentir, la palper. Elle qui en avait vu des choses dans sa vie. Mais non. Rien. Ce soir-là, Baya ne pense pas en noir. Elle pense simplement à son rendez-vous, à la nuit prometteuse qu’elle doit passer. Le pas de danse (un charleston) qu’elle exécute au son de la musique sirupeuse qui dégouline dans le juke-box à moitié défoncé du bar, prouve même qu’elle est joyeuse.

Derrière le comptoir laqué du Homeless se trouve Congo, le barman. Un gars bien, Congo. Poli, éduqué, joli et physiquement rassurant lorsqu’on est propriétaire de ce genre d’établissement : tout en muscle et en réparti. Un vrai barman, capable de remplir les verres, les nettoyer, les ranger et vider les clients désagréables en moins de temps qu’il n’en faut pour avaler cul sec son bourbon.
– Salut Congo.
– Salut ma belle. Je croyais ne plus jamais te revoir ici.
– Je croyais aussi ne plus jamais avoir à remettre les pieds dans ton bar de merde. Mais ce soir, j’ai rendez-vous. Alors, c’est différent. Et je peux te le dire à toi, Congo, mon confident des soirs glauques, que c’est un bon coup. Et même un coup juteux, si tu vois ce que je veux dire.
Œillade, sourire, dents blanches, Baya est impatiente. L’excitation monte.
– Et je pourrais savoir qui est l’heureux élu.
– N’essaie pas de me tirer les vers du nez. De toute façon, tu ne le connais pas.
– Bon, ben j’ t’en offre un quand même.
– Un quoi.
– Un verre.
– T’es chou. Je connais tes coups de charmeur, beau black. Ça ne prend pas sur moi. Tu ne sauras rien. Mais j’accepte le verre. Un Martini.

(A suivre)

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Commentaires
H
Bon bon une histoire qui commence bien.<br /> Une nana qui n'en était pas une, un bar pourri avec un serveur black et de l'alcool de fille.<br /> <br /> La suite la suite...
Scribouilleur de cru
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